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Cendrer ses sculptures

Victoire Barbot

Exposition du 15 mars au 4 mai 2024

Vernissage le mardi 14 mars de 17h à 20h30

CENDRER SES SCULPTURES

Victoire Barbot

Derrière ce titre mystérieux, retenu par Victoire Barbot pour intituler son exposition, se cache une œuvre discrète autant que féconde, d’abord ancrée dans une histoire familiale. Loin de ne constituer qu’une anecdote, cette attache séminale et située, non dénuée d’une portée critique d’autre part, se rapporte plus largement à notre histoire industrielle ou, plus précisément, à celle d’une petite industrie héritière d’une période allant de la fin du XIXe à l’immédiat après-guerre. C’est-à-dire, en effet, qu’elle nous renvoie à cette industrie déclinante depuis plusieurs décennies, parce qu’incapable de faire face à l’évolution du marché et des besoins qu’il accompagne ou détermine, à la progression à son détriment de secteurs d’activités plus porteurs, aux modifications législatives et aux nouvelles priorités politiques, ainsi qu’à l’inflation des contraintes réglementaires, parmi d’autres paramètres. Cette allusion en appelle dans le même temps à une certaine catégorie de territoires,concernés par ce phénomène et ses conséquences démographiques, économiques et sociales :souvent des localités de taille moyenne, pour beaucoup simultanément limitrophes d’agglomérations très fortement urbanisées et peuplées, et de zones rurales.

Il reste de ce contexte le souvenir de matériaux et de couleurs, d’équipements et d’outils, de techniques et de méthodes, de sites et de populations (habitants, ouvriers, usagers). Il en demeure aussi la mémoire d’un âge d’or conjoint de réalités plus prosaïques : celles de l’obsolescence, de la faillite, de l’échec ou de l’abandon. C’est à tout cela quel’artiste porte la plus sincère attention. Entendons-nous d’ailleurs à ce stade : l’œuvre commise par Victoire Barbot ne constitue aucunement une forme d’appropriation ou d’instrumentalisation d’une ressource qui s’offrirait à elle, et qui supposerait que l’objet de son attention (la ressource) soit inerte et passif. Bien au contraire dans le travail accompli, celui-ci agit aussi bien qu’il fait agir, au point d’affecter la personne qui le manipule autant qu’il affecte ses destinataires.

S’appuyant de surcroit sur de solides fondements conceptuels et artistiques (en particulier consignés par certaines avant-gardes historiques et de la seconde moitié du XXesiècle, et empruntées au constructivisme, au ready-made, aux combine paintings, à l’art conceptuel, etc.), le vocabulaire plastique et les processus auxquels Victoire Barbot recourt témoignent explicitement de cet ancrage. Hormis la nature des éléments récupérés constitutifs de ses sculptures précaires, suffisamment suggestive de leur origine, il y est question en creux ou plus explicitement d’inventaire, de classement, de stockage, de transport, de notice et de schéma, de maquette, de conditionnement, d’assemblage, etc. La force de cette évocation de l’économie industrielle tient précisément au fait qu’elle constitue aussi, pour elle, une puissante métaphore de l’économie de l’art, et de celle de l’artiste, notamment confronté à l’encombrement physique que la pratique de l’art manque rarement d’induire, à moins de lui préférer des formes de projections mentales, telles que Victoire Barbot nous le propose.

C’est sur les bases de ce récit qu’une importante partie du corpus proposé se déploie, bâti depuis 2014 à partir d’une série de travaux primordiaux nommés misensemble. Ce titre générique désigne d’abord une série de combinaisons d’éléments disparates et plus ou moins intègres, au nombre de trois a minima, sur lesquels l’artiste n’intervient qu’aux stades de la collecte puis de l’assemblage, toujours accompli sans le moindre renfort de systèmes de fixations rapportés (tels que colle, vis ou autre quincaillerie). À quelques exceptions prèsrelatives à des souvenirs d’enfance, ces éléments ont cependant en commun d’être manufacturés, d’avoir généralement servi de racks ou d’étagères de stockage ou de présentation dans des magasins et des entrepôts d’entreprises, avant d’être laissés pour compte çà et là, puis récupérés et finalement réemployés. En outre, les compositions sculpturales qui résultent de ces gestes initiaux sont seulement justifiées par les équilibresobtenus en fonction des caractéristiques physiques et formelles des ressources issues de cette matériauthèque de circonstance, tandis que le corps de l’artiste s’y confrontant en détermine l’échelle.

 

 

Cela étant, les interventions relatives à cette partie du corpus, quoique toujours extrêmement mesurées, ne s’arrêtent pas à ce stade. Pas plus que l’intitulé choisi ne s’y limite. De fait, et dans une perspective plus générique encore, la formule misensemble désigne une succession de traitements protocolaires autrement complexes, dérivée de cette phase initiale. Victoire Barbot la décline ainsi en six états complémentaires comprenant le dessin de l’assemblage, sa version démontée et rangée (de manière à occuper un espace et un volume minimum), le dessin de sa misenboite (représentant l’état rangé dans un emboitage adéquat), ladite boite, sa misaplat sous les traits d’un plan, puis la misenligne de cette dernière obtenue par l’addition des périmètres de chaque polygone figurant sur le plan. Sans entrer plus avant dans le détail de chaque état, et parce que les sept états sont une seule et même pièce, la monstration de l’un d’entre eux, selon la logique suivie par l’artiste, est inévitablement exclusive de tous les autres et conditionne en conséquence leur invisibilité à ce stade.

L’ensemble se présente au surplus comme une chaine d’opérations éminemment codifiées, évoquant immanquablement les méthodes de rationalisation technico-stratégiquesfunestement prospère au cours du siècle dernier quoiqu’elle se soient déjà brutalement manifestée à « l’âge des révolutions ». C’est cette rationalité des moyens que dénoncèrent tour à tour Weber, Adorno puis Marcuse, plus que suspecte en raison de ses conséquences.Absolument distincte d’une louable rationalité morale et pratique portant sur la question des fins et non sur celle des faits, fondamentalement liée à l’activité communicationnelle, critique et dialectique, elle ne constitue que la traduction, en termes opérationnels, de concepts empruntés à la tradition intellectuelle, laquelle n’a d’autre effet que de « réduire la tension entre la pensée et les faits en diminuant le pouvoir négatif de la pensée ». Malgré les apparences, qui la laisse croire tout entière tournée vers la fonction, l’œuvre de Victoire Barbot se nourrit manifestement de ce « pouvoir négatif de la pensée », et de son salutaire inconfort critique. En témoignent, par exemple, ces boites sans fond ni couvercle dont les volumes sont figurés par leurs seules arrêtes, en attestent encore ces misenlignesrigoureusement absurdes, en font état, surtout, l’inutilité des opérations accomplies et l’incohérence de leur enchainement, dès lors que le prototypage ou la modélisation succèdent à la réalisation.

RESSOURCES

Revue de presse

REMERCIEMENTS

Olivier Milhe, Eric Jean-Soguero, Smithers Oasis, Bic, Elisa Vitrani, les amis et la famille de l'artiste

ÉQUIPE

Édouard Monnet

Commissariat

Maëliss Charpentier

Chargée de communication, des publics et de la médiation

Antoine Bondu

Chargé de la régie des expositions et de la logistique

Camille Kounouvo

Volontaire en service civique, médiation

Elisa Vitrani

Stagiaire à la régie de l'exposition

Edouard Monnet

ARTISTE

Victoire Barbot

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